Jeux carnavalesques / jeux d’identités
Programme détaillé des journées d’études
Jeux carnavalesques / jeux d’identités
MuCEM, Marseille, 13 et 14 juin 2014
Vendredi 13/06
- 9h30 : accueil des participants
- 10h : présentation des journées d’études par Marie-Pascale Mallé
10h30-13 h : La figure de l’Autre dans les jeux carnavalesques : ambiguïtés des mises en scène de l’altérité
10h30-11h : Amudena Rutkowska. La figure du juif dans les mascarades polonaises.
Malgré la longue interdiction des mascarades sous le régime soviétique et la quasi disparition des juifs de ces pays suite à la seconde guerre mondiale, le personnage du « Juif » est toujours bien présent dans les mascarades d’Europe centrale. Représentant d’un monde autre et pourvoyeur de bienfaits pour la communauté, meneur de jeu, bouffon ou représentant d’une communauté stigmatisé, les figures carnavalesques du Juif sont diverses, ce que l’on montrera à partir de quelques exemples polonais.
11h-12h : Suzanne Chappaz. Le grand Vizir de La Brigue (Valais, Suisse)
Je pense reprendre et développer à l’aune des questionnements actuels un exemple analysé dans « Le Turc, le Fol et le Dragon » : celui d’un entrepreneur italien dont la naturalisation (suisse) dans les années septante est allée de pair avec l’accession au titre de « grand vizir », le nom donné au président de la société carnavalesque Türkenbund (confrérie des Turcs) , autrement dit montrer comment le détour par une altérité imaginaire, fortement stéréotypée, ancrée dans une longue histoire, mobilisée par le patriciat local pour maintenir sa prééminence dans la cité (Brigue dans le Haut-Valais, rebaptisée Mekka pendant le carnaval), a contribué à son intégration-relative- au sein de ce patriciat .
Que peut-on tirer de cet exemple dans une conjoncture actuelle dans laquelle l’Islam en Suisse alimente des débats politiques animés, ce qui a d’ailleurs poussé cette société carnavalesque à atténuer fortement la dimension parodique initiale de son déguisement ? Une conjoncture actuelle caractérisée aussi par le fait que « les Italiens », longtemps stigmatisés, sont devenus, rapportés à l’aune de l’altérité « Islam », un exemple d’intégration réussie , au point que l’italianita figure sur la liste suisse du patrimoine culturel immatériel (la Suisse a ratifié les conventions onusiennes sur le PCI) comme « tradition vivante » du Valais ( je suis membre de la commission cantonale d’experts chargée d’établir cette liste cantonale et ai proposé d’y inscrire l’italianita pour rappeler l’historicité du processus identitaire « valaisan »…).
12h-12h 30 : Louise Vantalon. À la recherche de l'outre-homme, Pour une poétique du poil, Une étude du corps ensauvagé dans les mascarades rurales européennes.
Les mascarades de l'ours en Vallespir et la Nuit des Tschäggättä au Lötschental relèvent toutes deux d'un même objet, les mascarades rurales européennes, qui se tiennent chaque année en marge du Carnaval et mettent en jeu des figures hirsutes arborant cloches et pelures et réinvestissant la figure archétypique de l'homme sauvage. Bien que l'une et l'autre s'affirment comme intrinsèquement liées au territoire qui les constitue, mettant en avant un mythe fondateur « purement » local, elles relèvent toutes deux d'une même dynamique. Pour le corps social des villages pratiquant les mascarades, il s'agit d'accueillir, tout en la rejetant, une figure du sauvage, qui est un archétype communément partagé par la société dont dépendent ces communautés. Ces figures sont paradoxales ; fondées par une dramaturgie de l'incorporation et du rejet, elles sont construites par le corps social comme corps étrangers mais ce faisant elles se font dépositaires de qualités propres à la communauté. Les bêtes des mascarades sont les stigmates de l'ombre du corps social. A travers la mise en jeu de cette bête qui, selon la mythologie locale, lui est propre, le village concerné s'invente un ancêtre qui est aussi un ennemi et qui touche aux limbes de l'humain. Par ce personnage, les communautés cherchent à se distinguer en s'inscrivant dans une lignée qui exclut le reste de la société environnante, tout en en faisant un argument touristique. Les mascarades participent donc de la survie à la fois symbolique et économique de localités rurales dans un contexte globalisé. Je me propose d'explorer la manière ambivalente et paradoxale dont ces mascarades sont construites, à des fins de définition et de distinction d'un corps social villageois, en s'appuyant sur l'archétype de l'homme sauvage, l'autre par excellence.
12h30-13h : Blodwenn Mauffret. « Les Noirs peints en noir » : les masques de l'altérité en miroir dans le carnaval de Cayenne.
Un film documentaire de 1969 archivé à l'INA (Institut National Audiovisuel) s'étonne, à propos du carnaval de Cayenne, de ces « Noirs peints en noirs » et montre en image un groupe deNeg'marron, personnage traditionnel carnavalesque cayennais. Il s'agit, dans le cadre des journées d'études « jeux du carnaval / jeux d'identités » proposées par le MUCEM, de s'interroger sur cette définition des masques carnavalesques de Cayenne donnée par le reportage, « les Noirs peints en noir », en analysant, dans une perspective historique et d'identité culturelle créole, non seulement la figure du Neg'marron, masque grossier des Noirs marrons de Guyane, mais aussi d'autres figures traditionnelles telles que l'Anglébannan, ressemblant fort aux Black Face américains, le Tirailleur Sénégalais qui met en évidence le grotesque publicitaire Banania et les récents Gorilles desTouloulou sales rugissant tels des King Kong de la RKO.
« Les Noirs peints en noir » se définissent-ils eux mêmes comme « Noirs » alors que la société créole est une société issue du fait colonial et marquée par le métissage, l'idéologie du blanchiment du sang et l'idéologie coloriste ? Ces masques évoquent une altérité en miroir, une altérité « feed-back ». L'image du « Noir » issue de l'idéologie ségrégationniste colonial puis raciste du XIXe siècle et du XXe siècle est utilisée comme masque. L'image grossière imposée aux « Noirs » devient esthétique grotesque et identitaire créole. Mais s’agit-il d’une simple esthétique grotesque bakthinienne qui par le biais du rire joyeux s'affranchit des points de vue prédominants sur le monde ou d'une pratique du Détour glissantienne qui met en évidence l’exacerbation du caractère dérisoire de la genèse de l'être créole? S'agit-il d'une libération carnavalesque des traumatismes historiques enfouis ou d'un marronnage créateur qui par le biais du masque créé un espace de liberté ?
Vendredi 13, 14h30-17h : La figure de l’Autre dans les jeux carnavalesques (suite)
14h30-15h : Giovanni Kezich. Carnival and alternative identities: a quantitative approach.
In more ways than one, the performative or dramatic aspects of the winter masquerades reflect the representation of some extra-ordinary (i.e. “out-of-the-ordinary”) collective identities. This can be true in at least two cases. One, is the close association, which is often found in Europe, between masquerades and/or minority languages, linguistic frontiers or borders, and ethnolinguistic enclaves. The other, concerns the frequency with which the depiction of “others” – be them Gypsies, Arabs, Moors, Bohemians or Turcs – is brought into play in the course of the masquerade itself. On these two completely different levels of reification of the “otherness” theme, the specific modes of its occurrency are better than random and, from the outstart can be inspected in their regularities. For that purpose, on the bases of the fieldwork carried out within the scopes of EU project “Carnival Kind of Europe” (2007-2012), some 70 masquerades have been investigated and at least preliminarly documented. On such not unconsiderable quantitative bases, some inspection can be carried out to verify frequency and relative regularities of the theme of the “other” in European winter masquerading.
15h-15h30 : Laurent-Sébastien Fournier. Le fou de Haxey (Angleterre). Autodérision et mise en scène de l’altérité du plus proche
Cette communication sera basée sur la présentation d’un exemple ethnographique, le Haxey Hood Game. Elle s’appuiera sur des extraits d’un film tourné lors de l’édition 2012. Ce jeu carnavalesque, organisé chaque année le 6 janvier, met en scène plusieurs figures de l’altérité proche. Il s’agira d’étudier les conduites d’inversion et d’autodérision qui caractérisent d’une part le fou de Haxey, personnage carnavalesque local, et d’autre part les différentes équipes en compétition. On verra notamment comment ce jeu carnavalesque collectif rend ambiguës les barrières sociales, les valeurs et les hiérarchies habituelles de la communauté organisatrice.
15h30-16h : Nathalie Gauthard. Le bouffon tibétain atsara : figure de l'altérité indienne ?
Chaque année, dans les régions himalayennes marquées par le bouddhisme tantrique ainsi que dans les régions tibétaines de la République Populaire de Chine des célébrations liturgiques comprenant des danses masquées, ‘chams, ont lieu. Durant ces cérémonies publiques où les divinités du bouddhisme tibétain s’incarnent dans les corps des moines danseurs, un « bouffon sacré » officie en devenant le garant de l’ordre et du désordre tout en livrant à de multiples facéties. L’atsara, dont le nom dérive du sanskrit acharya, « maître spirituel », est souvent qualifié de clown, de bouffon, de joker, par les observateurs extérieurs à cause de ses railleries et de ses pitreries. Selon le tibétologue René de Nebesby-Wojkowitz, il semblerait qu’une de ses possibles origines fut initiée par une volonté de vouloir railler les prêtres de l’hindouisme, possible réminiscence d’une tentative de propagande Hindou dans les régions d’obédience bouddhiste. De nos jours, les érudits religieux, relient les atsaras aux Mahasiddhas indiens, grands maîtres tantriques et source d’inspiration sur le chemin de l’éveil.
Caricature du clergé hindou ou maître indien à vénérer et respecter ? L’ambiguïté de ce personnage pose de multiples questions auxquelles je donnerai quelques éclairages et pistes de réflexions notamment grâce à mon dernier terrain au monastère de Shechen au Népal (mars-avril 2014).
16h-16h30 Kuzmina Evguenia. Le carnaval de Pourim, paradigme de la condition des juifs en Diaspora, dans l’œuvre de Marc Chagall
La fête de Pourim, devenue le paradigme de la condition des juifs en diaspora, évoque la remémoration d´un épisode tragique qui, grâce à la lutte de Mardochée et d´Esther, se transforme en une délivrance aux accents messianiques. Le sauvetage des juifs de la destruction reste, depuis lors, associé à la joie, au rire et à la transgression. L´aspect carnavalesque de cette fête, en opposition à d´autres moments du calendrier juif, a conduit à considérer pourim comme une “fête mineure”. Elle a été longtemps associée à la culture du ghetto et aussi, par la présence des pièces satiriques, les pourim-spiln, dans cette fête, á la langue vulgaire et à la culture populaire juive.
Le Pourim permet d´explorer les traditions de carnaval liées au désordre, à la confusion, l'inversionde haut et bas, d´ établir le jeu entre le licite et l ´illicite, le pur et l´impur. Pourim est un rituel quidévoile les tensions socioculturelles de la diaspora juive par rapport à d'autres communautés religieuses ; non seulement parce que la fête évoque, en partie, des crucifixions et d´autres sujets chrétiens ainsi que des rites païens, mais surtout, grâce à la profusion de costumes de carnaval où l´ on peut identifier l'influence du charivari, de la commedia dell arte, du carnaval russe et du cirque. Le déguisement devient une obligation pendant la fête de Pourim. Des masques, anthropomorphiques et animalesques sont dessinés à partir des caractères décrits dans le livre d'Esther, la Haggadah, le Talmud, le livre de prières et d'autres sources littéraires, se font pour être présentés dans les parodies humoristiques.
C´est pendant les jeux de pourim que le badchan, sorte de troubadour local, apparait. Dans la fête de pourim, il devient un acteur polyvalent qui joue, danse, mime, raconte des histoires comiques et anime la seule fête où il est vivement conseillé de boire de l’alcool.
Marc Chagall, qui, d´après les témoignages, fabriquait lui même des marionnettes carnavalesques, évoque cette tradition culturelle dans de nombreuses œuvres sur le théâtre et le cirque. Comme dans le Pourim, d´influences plurielles, Chagall, s´inspire des rites carnavalesques, des rencontres avec le cirque, du théâtre et d´autres spectacles, en dévoilant les tensions sociales entre la culture dominante et celle du ghetto. Les créations de Chagall, nous plongent dans le cœur des contradictions, des ambigüités, des paradoxes de ces fêtes et nous entrainent vers une subtile compréhension des enjeux, des influences et de la complexité du théâtre de Pourim.
16h30-17h 30: discussion
17h 30-18h45 : visite de l’exposition Le Monde à l’Envers
19h : cocktail dinatoire pour l’ensemble des participants, intervenants et auditeurs
Samedi 14 juin 9h30-12h : Mises en scène identitaires
10h-10h30 : Dionigi Albera : Mise en scène de soi-même et des autres dans un carnaval du Piémont italien
La Baio de Sampeyre, fêtée tous les cinq ans dans le piémont italien, est un carnaval qui ne dit pas son nom. La commémoration d’une mythique guerre aux Sarrasins est le prétexte à de nombreuses mises en scène de soi-même et des autres
10h30-11h : Olivier Desart. Mises en scène du Gille dans les intérieurs binchois
La ville de Binche est connue pour son carnaval et son Gille. Emblème identitaire, le Gille de Binche est mis en scène dans les espaces publics, de multiples objets souvenirs mais aussi, ce qui n’est pas perceptible aux visiteurs, dans les intérieurs binchois. C’est ce que révèle l’enquête photographique menée par Olivier Desart pour le compte du musée international du carnaval et du masque de Binche.
11h-11h30 : Lahoucine Bouyaakoubi : se masquer pour revendiquer : le cas de la revendication amazighe (berbère) au sein du carnaval biylmawen à Inezgane ( Maroc).
Jadis pratiquée partout au Maroc, Biylmawen est une tradition carnavalesque qui ne se perpétue aujourd'hui qu'au sud du Maroc. Fondée sur le principe de déguisement sous les peaux de moutons ou de chèvre et de masquer le visage, cette tradition, rurale à l'origine et dont l'origine demeure inconnue, se transforme dans la ville d'Inezgane en grand carnaval citadin. Celui-ci se caractérise depuis les années 1990 par l’émergence d'un ensemble de masques, signes, banderoles, drapeaux, messages et décors revendiquant la reconnaissance de l'identité amazighe (berbère) du Maroc. Ce carnaval s'impose aussi, de plus en plus, comme marqueur identitaire de toute une région : la Région Souss-Massa-Draâ.
11h30-12h : Monika Salzbrunn. Les marges perturbent le centre? Le carnaval des sans-papiers de Cologne
A Cologne, les acteurs d’un mouvement social transnational de soutien aux réfugiés politiques utilisent la ressource festive du carnaval afin de mettre en scène des inégalités politiques, économiques et sociales. Les rapports sociaux de pouvoir existants sont tournés en dérision dans la situation du carnaval afin de nourrir le potentiel transformateur de la fête. Pendant la situation festive, un processus interactif de boundary-making peut être observé. En tournant en dérision la situation précaire dans laquelle les acteurs se trouvent, ils se démarquent et s’émancipent du pouvoir politique dont ils dépendent en partie.
Le cas empirique du Carnaval des sans-papiers de Cologne est révélateur de la capacité des acteurs à renverser, du moins temporairement, des situations de précarité, afin d'exiger que ces situations et ceux et celles qui s'y trouvent placés soient enfin reconnus. A Cologne le mouvement translocal de soutien aux réfugiés a chargé d'un nouveau contenu sémantique un célèbre rituel médiéval consistant à brûler un mannequin de paille en place publique. Les protagonistes incluent désormais dans les "attendus" du jugement qui précède la mise à feu des références à la politique locale et à la géopolitique. Durant la fête, tous les participants, quel que soit leur statut politique ou juridique, font partie de la communauté festive. Cette possibilité de vivre ensemble au-delà des frontières (boundaries) ou cloisonnements juridiques, géographiques, politiques, pratiquée et mise en scène par le mouvement de soutien aux sans-papiers, sert ainsi d’exemple et de modèle pour la vie quotidienne au sein de la cité en particulier et du monde urbain en général.
Samedi 14, 14h -16h : Etre un autre : Le travestissement
14h-14h30 : John F. Santino. Identités masquées et exprimées dans les carnavals et les défilés contestataires
Les mascarades du carnaval souvent cachent l'identité des personnes, mais simultanément, expriment quelque chose d’important. Souvent, pendant le carnaval ou les manifestations carnavalesques telles que Hallowe'en aux Etats-Unis, les travestissements sont des sujets tabous, interdits. Les gens expriment la critique sociale par la parodie et l'inversion. Au contraire, dans d’autres évènements de la rue, comme les manifs, les travestissements dissimulent vraiment les identités ou expriment une demande de changement social.
14h30-15h : Maryline Crivello. Le costume historique : L'incorporation de l'histoire
Le mouvement de reconstitution de l’histoire s'inscrit dans la longue tradition anglo-saxonne del’Histoire vivante ou Living History dont l’objectif est de reconstituer des tranches de la vie militaire ou civile quotidienne du passé. Une partie de la société s’exprime à travers un engouement individuel ou collectif pour le passé, fabriquant des récits de vie et témoignant ainsi d’un goût affirmé pour l'histoire. L'histoire sollicitée doit contribuer à une quête d’émotion, de dépassement de soi, sinon d’ «héroïsation» par personnage historique interposé. On est ici dans le cadre d’un fort investissement personnel et d'une expérimentation du passé, dans la veine du jeu de rôle, où tout le corps est concerné dans son engagement physique. Ainsi, ces passionnés d’histoire lorsqu'ils revêtent le costume d'un ancêtre, aspirent à « entrer en » et « dans » l’histoire comme acteur du passé.
15h-15h30 Christian Bromberger. Supportérisme et travestissement. La carnavalisation des stades
15h30-16h : Table ronde/conclusions
16h-19h : Ceux qui le désirent pourront visiter librement les autres expositions du MuCEM
Les communications se feront en français, majoritairement, ou en anglais, sans traduction. Les intervenants sont invités à rédiger un powerpoint bilingue pour faciliter la compréhension de tous.
Marie-Pascale MALLE
marie-pascale.malle@mucem.org
Telephone : 0484351444
www.mucem.org