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Publié par Pierre Philippe-Meden

Nicola Savarese vient de mourir à Rome ce 20 juin, à l’âge de 78 ans, en conclusion d’une longue période de lutte contre la maladie, ou plutôt en interruption d’une ample vie de création, d’explorations, de voyages et d’enseignement. Le 4 octobre 2023, au musée Sigismondo Castromediano de Lecce, Nicola accompagné d’Eugenio Barba présentait le film de Ludovica Ripa di Meana “In Search of Theatre” (1974) consacré au séjour de l’Odin Teatret dans le Salento et à l’invention du « troc ». Ce jour-là s’inaugurait LAFLIS Living Archive Floating Islands, la mémoire vive d’Eugenio Barba, de l’Odin Teatret et du Tiers Théâtre qui poursuivent leur navigation dans l’architecture baroque de la bibliothèque Bernardini.

L’historien participait ainsi à son inscription dans l’histoire d’une étonnante aventure qu’il avait contribué à nourrir. Déjà, la nouvelle génération de ses collègues l’y avait placé, comme on peut le lire dans l’ouvrage qui retrace la refondation des études théâtrales en Italie des années soixante à 1985*. Toutefois, il est bien réducteur de ne considérer que le champ académique d’un outsider impliqué dès sa fondation dans l’entreprise de l’International School of Theatre Anthropologie l’ISTA, et de l’anthropologie théâtrale, lui-même peintre et performeur prenant plaisir à offrir des conférences spectacle.

Né en 1945 à Rome, Nicola Savarese avait été attiré par la peinture et le théâtre. Après avoir fréquenté l’atelier du peintre sicilien Renato Guttuso (1911-1987), il avait intégré en tant qu’étudiant puis chercheur spécialiste du théâtre de la Renaissance le groupe de jeunes historiens connu sous le nom « d’école romaine » en raison de ses perspectives novatrices (Marotti, Cruciani, Taviani, Meldolesi, Ruffini). Une rencontre décisive devait fixer le cap de ses travaux et de son existence. En 1969, la présentation par l’Odin Teatret de Ferai, à Venise, lors du Festival Internazionale del Teatro di Prosa, dans le cadre de la biennale donna au professeur Ferruccio Marotti l’occasion d’un entretien avec Eugenio Barba, et à ses étudiants la découverte d’un théâtre hors du commun de la scène et du quotidien. Vint les voyages à Holstebro, et pour la famiglia un engagement passionnément fidèle.

En 1980, Nicola fit partie de l’équipe scientifique de la première session de l’International School of Theatre Anthropology ISTA qui se tint à Bonn. Pour cela et l’œuvre qui suivit, il appartient à la petite communauté des « fondatori ». Trois ans plus tard en effet, après la session de l’ISTA tenue à Volterra en 1981, et première récolte de ses fruits, paraissait en Italie Dall’International School of Theatre Anthropology diretta da Eugenio Barba 232 pages illustrées, de grand format, intitulées Anatomia del Teatro, un dizionario di antropologia teatrale a cura di Nicola Savarese. Depuis traduit en de multiples langues, le dictionnaire s’estdéployé sur les cinq continents en un opus magistralement ambitieux des deux auteurs – Eugenio Barba, Nicola Savarese -   I Cinque Continenti del Teatro. Fatti e Leggende della Cultura Materiale dell’Attore. Cinq continents de légendes, mémoires, fétiches, témoignages, archives de ce que Homo Performans se plaît à réaliser et à voir en des moments de jouissance de l’œil pour les uns et les unes, et de jeux du corps et de l’esprit pour les autres. Dans un article de 2018 qui célèbre l’opsis des Grecs, Nicola s’explique en des mots que je traduis de l’italien:

« Que les histoires du théâtre soient des livres d'images est une réalité qui peine à s'imposer comme une nécessité. Si l'opsis, l'appareil visuel, le spectacle, comme l'affirme Aristote, est un élément constitutif du théâtre, il doit aussi être une exigence de l'histoire du théâtre. Les histoires du théâtre en circulation, qui répondent le plus souvent à une logique universitaire ou populaire, associent rarement l'intérêt scientifique à la mise en scène de l'histoire sous forme de livre. Il leur manque l'opsis, l'appareil visuel. »**

Au Japon où il avait enseigné, n’avait-il pas retrouvé la trace de Prospero Ferretti (1836-1893), son arrière grand-parent, peintre originaire de Reggio Emilia, volontaire garibaldien, prisonnier en Croatie. Parti pour l’Inde puis invité au Japon par un confrère afin d’y introduire la peinture à l’huile, il était revenu en Italie, oùla mort l’avait frappé brutalement dans la rue à l’âge de 52 ans. Nicola venait de lui consacrer un ouvrage***. Lui-même avait aimé naviguer sur les îles flottantes du théâtre, et enseigner dans le monde. Ses funérailles ont eu lieu à Rome le samedi 22, dans l’église qui porte le nom de Francesca Saverio Cabrini (1850 -1917) sainte fondatrice de l’ordre des sœurs Missionnaires du Sacré Cœur et patronne des émigrants.

* Roberta Ferraresi, La rifondazione degli studi teatrali in Italia dagli anni Sessanta al 1985, Turin : Accademia University Press, 2020 – 384 pages

** « Un altro capitolo dell’opsis », Teatro e Storia, n.s. 39-2018

*** Insolita storia di Prospero Ferretti pittore, Milan, Sesto San Giovannis, Mimesis Edizioni, 2022

 

Jean-Marie PRADIER

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