Journées d’Etudes Globalmus : Outils et supports technologiques de la création musicale
3 et 4 mai 2012
EHESS, 96 boulevard Raspail, 75006 Paris (salle Lombard)
Organisation : Emmanuelle Olivier et Juan Paulhiac
PROGRAMME
9h30 Emmanuelle OLIVIER (CNRS, CRAL) et Juan PAULHIAC (Univ. Paris 8, EDESTA)
Introduction
SESSION 1 : CREATIONS ESTHETIQUES (MATIN)
Présidence : Denis-Constant Martin
10h00 Louise MEINTJES (Duke University)
Luck with Bones : Post apartheid cultural brokerage on the world music circuit.
11h00 Pause
11h15 Jean-Paul COLLEYN (EHESS, CEAf)
Les pistes sonores. A partir des films de Nollywood.
12h15 Sarah ANDRIEU (Univ. Aix, CEMAf) et Élina DJEBBARI (EHESS, CRAL)
Vidéo-clips au Burkina-Faso et au Mali : création d’imaginaires et nouvelles esthétiques.
13h15 Déjeuner
SESSION 2 : CREATIONS ESTHETIQUES (APRES-MIDI)
Présidence : Julien Mallet
14h30 Frédéric VOISIN (Univ. de Franche-Comté et Conservatoire du Pays de Montbéliard)
Pratiques informatiques de la création musicale contemporaine en France.
15h30 Pause
15h45 Ana María OCHOA-GAUTIER (Columbia University)
Loudness as an aesthetic of circulation.
16h45 Juan PAULHIAC (Université Paris 8, EDESTA)
Champeta 2.0 : Métamorphoses numériques du phénomène de la champeta.
17h45 Cocktail
VENDREDI 4 MAI 2012
SESSION 3 : TECHNOLOGIE GLOBALE / USAGES LOCAUX (MATIN)
Présidence : Emmanuelle Olivier
9h30 Bob WHITE (Univ. de Montréal)
Rumba patriotique : Intermédialité et narrativité dans les clips vidéo à Kinshasa.
10h30 Julien MALLET (IRD, URMIS)
Technologies globales, usages locaux et reconfigurations dans l’univers tsapiky de Madagascar.
11h30 Pause
11h45 Philippe LE GUERN (Université de Nantes, Centre Atlantique de Philosophie)
Low-Fi, Chip tune, old school computer, etc. : Esthétiques néo-régressives et mise en cause de l’idée de progrès numérique.
12h45 Déjeuner
SESSION 4 : TECHNOLOGIE GLOBALE / USAGES LOCAUX (APRES-MIDI)
Présidence : Juan Paulhiac
14h30 François DELALANDE (INA-GRM)
Une société horizontale : pratiques d’appropriation et d’échange à l’ère du paradigme technologique du son.
16h30 Pause
15h45 Dorothea E. SCHULZ (University of Cologne)
(Re)Formatting authenticity : “traditional” music and televised images of cultural belonging in Mali.
16h45 Gilles HOLDER (CNRS-IRD, CEAf) & Emmanuelle OLIVIER (CNRS, CRAL)
Islamic Pop Music au Mali : logiques et technologiques de l’économie morale.
17h45 Discussion générale
Avec l’expansion massive et la démocratisation du numérique depuis le début des années 2000, une véritable mutation technologique affecte la diffusion et la circulation des musiques. Le
téléchargement s’impose comme vecteur de distribution des supports physiques, jusqu’à se substituer à la vente de CDs et de DVDs, en même temps que les clés USB et autres cartes mémoire des
téléphones portables constituent les nouveaux supports de circulation et de stockage bons marchés. Dans ce contexte inédit d’une mondialisation culturelle récupérée par les individus, les
puissances industrielles peinent à maintenir leurs structures de financement habituelles, fondées sur la rémunération par droit d’auteur, et contre-attaquent au moyen de législations répressives
(Hadopi, Sinde) afin de sauvegarder leur monopole économique. Parallèlement, des solutions originales surgissent : de nouveaux cadres sont mis en place, tels le Copyleft (sur le modèle des
licences libres de logiciels), ou la tertiarisation via des abonnements.
Jusqu’à présent, l’attention a surtout porté sur la question de la préservation du système de rémunération des artistes, des producteurs et des distributeurs par le droit d’auteur. En revanche,
nous ignorons largement comment, dans des contextes moins industrialisés, des régimes créatifs se développent à l’heure du numérique. En outre, dans de nombreux pays, on observe que le numérique
coexiste avec des technologies “obsolètes” telles la cassette analogique, le disque vinyle, ou le VHS. Malgré leur peu de visibilité dans les pays du Nord, ces technologies mixtes témoignent
pourtant de savoirs et de savoir faire, mais aussi de filières industrielles que l’on pourrait qualifier d’alternatives, suggérant de véritables « voies souterraines de la mondialisation
culturelle » (Mattelart 2011) .
Durant ces Journées d’Étude, nous nous intéresserons dans un premier temps à la cohabitation et à l’interpénétration de ces différents régimes technologiques qui se jouent à plusieurs échelles,
du local au global. Nous nous attacherons ensuite à analyser comment ces régimes donnent lieu à des créations esthétiques et à des innovations économiques dans les systèmes de production
indépendants de la culture. L’approche autour de ces initiatives locales permettra de voir comment les technologies « globalisées » de la communication donnent lieu à une grande
diversité d’usages, tant sur le plan de la création, que de la reproduction, de la circulation et de la conservation.
Notre questionnement s’organisera autour de trois axes :
1°) Technologie globale / usages locaux
Les outils et supports technologiques que nous interrogeons ici (principalement Internet, le téléphone portable, la cassette analogique, le Vidéo-CD) se singularisent par un faible coût et un
usage à la portée de tous, expliquant pour une bonne part leur popularité. Mais ils sont aussi souvent marqués par une qualité médiocre et une relative absence d’innovation. Ces caractéristiques
leur garantissent cependant une grande capacité de diffusion et un renouvellement rapide. En outre, à l’encontre du paradigme abstrait d’une globalisation standardisée, on constate que si ces
supports et outils relèvent d’une technologie globale, leur usage et leur diffusion sont à l’inverse surtout locaux.
Nous aborderons cette articulation entre technologie globale et usage local à travers différentes études de cas sur la création musicale et les acteurs qui la portent. Quelles sont les
technologies dominantes sur les terrains étudiés et quels rapports entretiennent les acteurs musicaux avec celles-ci ? À quelles formes d’appropriation technologique (détournement,
bricolage, customisation, etc.) a-t-on à faire ? Quels réseaux de circulation ces outils technologiques permettent-ils de suivre ? On pense bien entendu à l’Asie, mais également aux
pays du Golfe, qui exportent massivement leur matériel technologique dans les pays du Sud. Selon quelles stratégies (sociales, économiques, politiques) les musiques sont-elles mises en réseau sur
Internet ; quel est le public visé, qu’en est-il du public réel et quelles sont les retombées tangibles de cette « globalisation » de l’information sur le plan local (création d’un
espace propre de parole, de rencontre, etc.) ? Quels nouveaux imaginaires de la globalisation produisent les divers usages de ces outils et supports technologiques ?
La mise en place d’une économie spécifique basée sur ces supports et outils technologiques crée de nouveaux métiers, de nouveaux lieux, mais aussi une temporalité spécifique qui offrent des
capacités d’action inédites pour les individus. Un temps spécifique pour créer, reproduire, diffuser, mettre en réseau la musique se structure peu à peu, tandis que l’individu redéfinit l’espace
pertinent en réévaluant le rapport entre le local et le global selon ses possibilités et ses stratégies d’action. C’est précisément cette capacité à mobiliser, à capter des ressources à l’échelle
globale pour les reconfigurer et les réinterpréter au niveau local, c’est-à-dire finalement à mettre en réseau le local, qui sera interrogée.
2°) Créations esthétiques : formes, normes, techniques d’écoute
L’un des changements majeurs observés dans cette reconfiguration est que la musique prend forme, non plus seulement dans l’interaction entre ce qu’a imaginé un compositeur et ce que réalise un
interprète, mais dans une médiation qui implique des outils technologiques spécifiques. C’est en effet dans et par l’enregistrement, à travers un travail homme-machine de studio (ou de home
studio) que la musique se façonne et se reproduit, avant même d’être jouée devant un quelconque public. Si l’article de l’ethnomusicologue sud-africaine Louise Meintjes sur l’album Graceland de
Paul Simon avait montré cette nouvelle logique de production, on manque cependant de données sur le travail de studio et cette médiation technologique, sur le rôle et la combinaison des
différents acteurs, producteurs, musiciens, arrangeurs, etc., mais aussi sur les formes et normes musicales qu’impose ce type de production. Nous veillerons donc à porter un intérêt tout
particulier à cette ethnographie du studio d’enregistrement.
Parallèlement, on s’attachera à considérer pour eux-mêmes les outils et supports audiovisuels. Si l’on constate l’émergence de formes nouvelles de médiation audiovisuelle de la musique
(vidéo-clips, vidéo-concerts, etc), on mesure aussi la place centrale qu’occupent les plateformes de partage vidéo sur Internet (Youtube, iTunes) dans ce processus de médiatisation des créations
musicales. Ce constat invite à s’interroger sur plusieurs aspects de la création musicale. Quelles sont les esthétiques locales qui se développent dans le cadre de productions audiovisuelles
(usages différents du montage, des effets de mosaïque, de fondus enchaînés, d’inserts, etc.) ? Comment des musiques peuvent-elles prendre forme dans la production, la fabrication et la mise
en réseau de vidéo-clips ou de vidéo-concerts ? Dans quelle mesure assiste-t-on à une re-création de musiques par l’audiovisuel, ou bien à l’inverse, à une création de nouvelles normes
musicales par l’audiovisuel ? En d’autres termes, peut-on continuer à affirmer une autonomie du son par rapport l’image dans un monde qui allie ou fait fusionner massivement ces deux
médias ? L’une des caractéristiques majeures de la globalisation est la dématérialisation des supports médiatiques. Si, avec la K7, le disque, le CD, le DVD ou VCD, le format du contenu est
inféodé au support, avec Internet, cette contrainte physique disparaît singulièrement. Bien qu’une grande attention ait été portée sur l’impact économique de ce processus, nous savons
relativement peu de choses sur la manière dont cette dématérialisation des supports affecte le travail de composition et d’inventivité musicale. Comment s’intègre la dématérialisation du
multimédia dans la création musicale ?
Enfin, on se posera la question de la réception de ces productions, des techniques d’écoute. En quoi l’esthétique audiovisuelle participe de l’évolution des techniques d’écoute d’une
musique ? À l’instar de la « discomorphose » dont parlaient Hennion, Maisonneuve et Gomart (2000) pour la musique, ou encore de l’« audio-vision » de Michel Chion (1991)
pour le cinéma, n’y aurait-il pas une nouvelle forme d’écoute et de perception de la musique hors support matériel et qu’il faudrait qualifier alors de « webomorphose » ? Il s’agit
là de considérer ces supports de médiation qui se dématérialisent, ouvrant ainsi la possibilité d’une interactivité sociale électronique dans la sphère de l’expérience musicale en ligne (Web
2.0). Si l’écoute et la perception des auditeurs en sont modifiées, et si elles infléchissent en retour la façon de faire des musiciens et des producteurs, comment s’ajuste la création musicale à
ce nouveau contexte d’écoute ?
3°) Économie de la musique : reconfigurations des systèmes de production
Si l’émergence de nouvelles esthétiques musicales est un aspect clé de l’expansion globale des technologies de la communication, alors les fondements économiques d’où apparaissent ces esthétiques constituent un terrain d’étude tout aussi important. Des ressources financières, technologiques, juridiques importantes ont été investies par les États et les industries dans le but de sauvegarder le régime du droit d’auteur, comme la Loi Hadopi en France ou la Loi Sinde en Espagne, offrant ainsi des solutions de préservation des intérêts économiques qui font école sous d’autres latitudes. Parallèlement, on observe une série d’initiatives de libération de contraintes liées à la propriété intellectuelle, telles le Copyleft et la licence ArtLibre mis en place par les artistes du NetArt . Cependant les travaux manquent quant à la description et l’analyse des processus de reconfiguration des filières musicales, comme par exemple le développement de la performance vivante (concerts) comme moyen de financement de la création musicale. Comment s’articule une telle économie du spectacle vivant à celle de la production musicale ? Quelles alternatives se dégagent au régime du droit d’auteur (abonnements, publicité, etc.) ? Quelles transformations s’opèrent au cœur des métiers et des filières musicales ? Comment ces reconfigurations affectent en retour le travail créatif des musiciens ?