Université d’été : QUE SONT LES MUSIQUES DU MONDE ? ONTOLOGIES MUSICIENNES ET PROCEDURES TAXINOMIQUES
Université d’été franco-allemande de l’UFA 2013 Biarritz, Pays Basque – France 1er – 7 Septembre 2013 QUE SONT LES MUSIQUES DU MONDE ? ONTOLOGIES MUSICIENNES ET PROCEDURES TAXINOMIQUES
WAS IST WELTMUSIK? MUSIKALISCHE ONTOLOGIEN UND TAXINOMISCHE VERFAHREN
Prof. Dr. Denis Laborde (CNRS – EHESS, Centre Georg Simmel, Paris) & Prof. Dr. Raimund Vogels (Center for World Music, Hildesheim)
1. OBJECTIFS. Cette Université d’été est la quatrième que nous organisons avec l’appui de l’Université Franco-Allemande. Après trois éditions organisées par le Centre Marc Bloch de Berlin, cette Université d’été a lieu pour la première fois à Biarritz, dans le Pays Basque de France. Elle est consacrée à l’ontologie des musiques du monde et aux procédures taxinomiques qui s’efforcent, dans une grande cacophonie sémantique, de distinguer des « musiques du monde » parmi d’autres qui, elles, n’en seraient pas… L’action musicienne sera la cible de notre attention. Toute séquence musicale est en effet produite par l’action des hommes. Ce sont ces pratiques qui font que de la musique existe et, par conséquent, qu’un secteur d’activités humaines nommé « musiques du monde » existe dans le monde. Ces pratiques sont à la fois ce que des hommes font et ce que d’autres (ou les mêmes) disent de ce qu’ils font : elles objectivent la musique. Il va de soi qu’une telle approche pourrait s’appliquer à bien autre chose qu’à la musique, et c’est ce qui fait sa richesse : elle permet de désenclaver les études sur la musique de l’isolement dans lequel elles se trouvent sur l’échiquier des disciplines instituées. Les pages somptueuses que l’ethnomusicologue Timothy Rice consacre à la chanteuse bulgare Todora Varimezova, qui improvise à l’envie des chansons en octosyllabes, serviront de point de départ à une réflexion sur la nature des musiques du monde (Rice, 1994). T. Rice entendait percer le secret de la fabrication de ces vers octosyllabiques que la chanteuse improvisait sans peine, à la manière d’un bertsulari basque. Il s’immisça dans le cours d’action et improvisa avec elle. Il aperçut alors que T. Varimezova ne chantait pas « avec des octosyllabes », mais « avec son coeur ». Jamais les octosyllabes n’avaient été la cible de son attention : c’était une question pour ethnomusicologue….
Voilà qui nous renseigne sur le fait que le résultat d’une action musicienne est bien le produit de pratiques ontologiquement créatrices, et que ces ontologies sont subjectives. Tel est le positionnement auquel nous conduit une approche basée sur l’implication dans le cours d’action. Il s’agit alors de promouvoir une démarche qui ne parte pas des catégories instituées à partir de quoi l’on irait examiner leur hypothétique traduction dans le réel. C’est le contraire que nous entendons faire émerger lors de cette Université d’été. En analysant la créativité de l’action humaine (Hans Joas, Die Kreativität des Handelns, 1992), nous tenterons de desserrer notre approche de l’emprise des modèles nomologiques et de placer l’observation de la pratique au premier rang de nos conduites d’observation. Cela implique de nous intéresser à ce qui fait être la musique : qu’est-ce qui fait être, ici, ou là, des pratiques musiciennes que le syntagme « musiques du monde » permet de désigner ? Et comment les opérations de désignation se déroulent-elles ? A ce stade, nul ne peut faire l’économie d’une interrogation sur les catégories des choses qui nous entourent. Nous identifions des morceaux de musique, nous en parlons, nous leur accordons un mode d’existence et des propriétés : comment et pourquoi le faisons-nous ? Au long de cette Université d’été, ethomusicologues et philosophes interrogeront le mode d’existence des oeuvres musicales et discuteront des modèles d’ontologie, selon que l’on considère l’oeuvre musicale :
1. comme structure pure (idéale), dont les exécutions sont des instanciations (platonisme musical) ;
2. comme structure accompagnée de ses moyens d’exécution en contexte (Levinson) ;
3. comme occurrence d’un certain type (Zemach) ;
4. comme symbole dans un système allographique (Goodman) ;
5. comme substance artefactuelle dont le fonctionnement esthétique détermine la nature (Pouivet) ;
6. comme particulier historique (Rohrbaugh) ;
7. comme événement (Currie, D. Davies).
Indépendamment de l’intérêt de ces modèles dans le cadre d’une ontologie de l’art, on se demandera lesquels sont les mieux adaptés à la compréhension des oeuvres effectives des musiques du monde. La démarche ontologique peut être réformatrice, partant d’une théorie ontologique, ou descriptive, partant d’un examen des oeuvres en usage et tâchant de « bricoler » des ontologies adéquates à leur analyse artistique. Mais, dans le monde des « musiques du monde » (Becker, Les Mondes de l’art), quel rapport les oeuvres musicales entretiennent-elles avec leurs interprétations ? Quel est le statut de l’oeuvre musicale estampillée « musique du monde » ? Est-il différent su statut de l’oeuvre musicale estampillée « World Music », « musique savante » ou « musique traditionnelle » ? Cette problématique est au coeur de la réflexion actuelle en ontologie de l’art, mais aussi en ontologie des sciences sociales, où on la rencontre déclinée sur le mode de l’enquête (P. Livet & R.Ogien, 2001 ; Bruno Latour, 2012). Nous voulons ici présenter les enjeux d’une collaboration entre sciences sociales, musique et philosophie, une collaboration qui permette d’éviter deux pièges : le piège des excès d’une ontologie a priori et le piège d’une forme d’empirisme qui ne permettrait pas de saisir une possible spécificité ontologique de ce « monde des musiques du monde » qui nous occupe. Cette approche induit de notre part à tous un travail en réflexivité, puisqu’ainsi comprise, « l’ontologie est l’avers d’une pièce dont l’envers est la connaissance que nous avons de notre connaissance » (Frédéric Nef, 2009 :14).
2. CONTENUS . L’université d’été questionnera ces objets musicaux au statut incertain que l’on range dans les rubriques « musiques traditionnelles », « World Music » ou « musiques du monde » en les comprenant dans leur dynamique relationnelle. Les axes pédagogiques porteront :
1. sur la nature et le mode d’existence de ces formes musicales (ontologie) ;
2. sur les contextes de création de ces formes musicales et des attributions statutaires (axiologie) ;
3. sur la valeur de ces formes musicales.
1. Les musiques du monde : une spécificité ontologique ? Ces musiques que l’on range sous de telles rubriques sont-elles justiciables d’une ontologie distincte ? Ont-elles une spécificité ontologique ? Les appellations – « musiques traditionnelles », « World Music » ou « musiques du monde » – renvoient-elles à un découpage ontologique reposant sur des distinctions réelles ou à des distinctions nominales, conventionnelles voire arbitraires ?
2. Contextes de création et procédures taxinomiques Comment caractériser l’expérience de ces formes musicales ? S’il est possible de prêter des caractéristiques communes aux conditions de présentification de ces musiques dans les sociétés occidentales, comment évaluer le changement de statut d’un rituel bouddhique coréen Yeongsanjae, par exemple, lorsqu’il devient une « musique du monde » dans un Festival parisien ? Comment appréhender la part qui revient aux compétences culturelles lorsque ce rituel est exécuté devant un public qui n’a pas accès aux compétences culturelles qui le fait exister comme tel rituel dans sa société d’origine ? De la réponse apportée à ces questions dépend la possibilité d’une montée en généralité qui permettrait d’appréhender (ou pas) « les musiques du monde » en général, comme catégorie.
3. Musiques du monde, valeur et évaluation Ici, il ne s’agit plus d’analyse musicale : il s’agit de questionner l’évaluation des musiques du monde à partir d’une prise en compte de la « valeur extrinsèque » qui leur est attribuée.
Deux axes sont proposés : d’un point de vue cognitif, on propose des outils pour examiner le rapport entre vérité et authenticité musicale, du point de vue moral, on propose d’étudier les implications éthiques des musiques du monde « dans leur ensemble », c’est-à-dire comme catégorie constituée dans des univers de discours qui en font un moteur de l’existence humaine. Certaines de ces questions restent méconnues ou peu développées (le statut ontologique des musiques du monde, la relation entre musique et éthique…), d’autres sont à l’état d’esquisse (les réflexions de Jerrold Levinson, Peter Kivy ou Stephen Davies sur la contextualisation, qui laissent place à des apories dont on ne peut se satisfaire), d’autres enfin sont supposées, à tort, résolues (la relation postulée entre musiques du monde et tolérance, l’exigence confuse d’authenticité…). A ces questions s’ajoutent celles issues de nos pratiques : les attentes spécifiques à l’écoute de ces musiques, le rôle ambivalent de l’enregistrement sonore, le rapport à l’improvisation, à la notion d’auteur, etc. Cette Université d’été voudrait révéler la richesse d’une réflexion qui mette en évidence la fertilité d’une investigation pluridisciplinaire construite à partir des réflexions proposées par les professeurs invités, et par des contributions les étudiants.
3. OUVRAGES CITES (dont la lecture est indispensable pour l’Université d’été) - Bohlman, Philip, World Music: A Very Short Introduction, Oxford, Oxford University Press, 2002. - Latour, Bruno, Enquête sur les modes d’existence. Une anthropologie des Modernes, Editions La Découverte, Paris, 2012. - Lenclud, Gérard, L’Universalisme ou le pari de la raison. Anthropologie, histoire, psychologie, Hautes Etudes, EHESS, Gallimard, Seuil, Paris, 2013. - Livet, Pierre & Ogien, Ruwen, L’enquête ontologique. Du mode d’existence des objets sociaux, Editions de l’Ecole des Hautes Etudes En Sciences Sociales, collections Raisons Pratiques, Paris, 2001. - Nef, Frédéric, Traité d’ontologie pour les non-philosophes (et les philosophes), Paris, Editions Gallimard, Collection Folio Essais, 2009. - Pouivet, Roger, L’ontologie de l’oeuvre d’art, Editions Vrin, Paris, 2010 [2000]. - Pouivet, Roger, Philosophie du rock: une ontologie des artefacts et des enregistrements, Presses Universitaires de France, coll. L’Interrogation philosophique, Paris, 2010. - Rice, Tim, May it Fill Your Soul. Experiencing Bulgarian Music, University of Chicago Press, 1994.
4. FONCTIONNEMENT. Au moment de leur candidature, les candidats sont invités à présenter, à partir de leurs travaux personnels, un projet de texte (1 page). 22 candidatures seront retenues : 11 pour le Groupe A, 11 pour le Groupe B. Chaque étudiant du groupe A devra composer un texte d’une dizaine de pages qui sera mis en ligne dans l’espace collaboratif du Centre Georg Simmel. Chaque texte sera commenté par un étudiant du groupe B pendant l’Université d’été. L’accent sera mis sur le travail en équipes interdisciplinaires selon un spectre le plus large possible (musique, sciences sociales, histoire de l’art, droit, philosophie, psychologie, histoire, géographie…).
5. CANDIDATURE . Le dossier de candidature doit comprendre : 1) un curriculum vitae ; 2) une présentation du projet de thèse ou des travaux de recherche (1 page) ; 3) une proposition d’intervention en relation avec l’un des thèmes exposés ci-dessus (1 page), en format .doc ou .rtf ou .pdf La sélection des participants se fera sur la base de leur dossier de candidature. Le dossier de candidature est à envoyer à : dlaborde@msh-paris.fr Date limite de réception des dossiers : 02 Mai 2013 Date de la notification d’acceptation : 15 Mai 2013
6. RESUME . Dates : Du lundi 1er au vendredi 6 septembre 2013. Arrivée le dimanche 31 août dans la soirée, départ le samedi 7 septembre dans la journée. Chaque demi-journée se compose d’une conférence par un chercheur invité puis d’une présentation des travaux d’étudiants. Public : L’Ecole d’été s’adresse à 22 doctorants ou post-doctorants de toutes nationalités, de toutes les disciplines des sciences humaines et sociales, travaillant ou non sur un terrain français ou allemand. Langues de travail : français, allemand, anglais. Lieu : Domaine de Françon, 81 rue de Salon, 64200 Biarritz, Pays Basque, France Candidature : à envoyer par mail à dlaborde@msh-paris.fr Date limite d’envoi du dossier de candidature : 03 Mai 2013 Date de la notification d’acceptation : 15 Mai 2013 Frais : Les frais d’hébergement, de repas et de voyage (train 2e classe ou avion billet tarif réduit) seront entièrement pris en charge par l’Université d’Eté. Informations : dlaborde@msh-paris.fr ou raimund.vogels@hmt-hannover.de